Résumé:
Notre propos n’a rien de linguistique ni de terminologique : il vise plutôt à montrer le caractère essentiellement social et relationnel de la règle de droit civil. Le droit civil contemporain se construit principalement sous la forme juridique relationnelle droit/obligation ou créancier/débiteur, forme conçue comme moyen de prémunir les sujets de droit contre les dangers d’exploitation et de violence.
Dans une première partie, nous tenterons d’illustrer le caractère social et relationnel du droit privé à l’aide de deux importantes fonctions du droit civil, à savoir l’assignation des rôles d’une part et l’allocation des ressources d’autre part. Une seconde partie utilisera, aussi à titre d’exemple, deux institutions du droit civil qui, en première analyse, ne semblent pas concorder en tous points avec la problématique suggérée ici et à propos desquelles nous nous demanderons si elles en sont vraiment des contre-exemples. Il s’agit de l’enrichissement injustifié et de la libéralité.
Cette étude nous permettra aussi de démontrer que si le droit civil contemporain est construit principalement sous la forme juridique relationnelle droit/obligation, il est traversé d’une tension conceptuelle lorsqu’il s’agit d’aborder les réalités familiales. Le couple droit/obligation qui doit servir à limiter les dangers d’exploitation et de violence n’est pas capable de saisir l’acte d’amour ou de sacrifice sans lui faire perdre son caractère propre. Cet acte doit nécessairement s’exprimer en dehors de la forme juridique droit/obligation. On aurait peine à prendre au sérieux quelqu’un qui dirait aimer par obligation. L’obligation ne représente pas l’élan du cœur. Mais puisque l’amour et le sacrifice refusent de se mouler dans le rapport droit/obligation, le droit civil peut avoir du mal à déterminer si l’on est en présence d’un acte d’amour ou de sacrifice de l’un des partenaires ou d’un acte d’exploitation et de violence de la part de l’autre. Le droit civil tend donc à intervenir uniquement après avoir traduit la dynamique normative qui était en place au sein de l’unité familiale en termes socialement compréhensibles de droit/obligation. La forme juridique du « droit privé » contemporain semble donc incapable de saisir les rapports les plus intimes des individus sans préalablement les socialiser.
Cyr, Hugo and Chevrette, Francois, Droit privé: Un abus de langage? (2010). G. Bras Miranda & B. Moore, ed., Mélanges Adrian Popovici – Les couleurs du droit (Montréal: Thémis, 2010) 573-98.
First posted 2013-12-18 08:02:46
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